Un bloc orné paléolithique dans le cours de l'Arize
Le Mas d'Azil, Ariège

Nouvelle découverte de Magali PEYROUX

Cadre de la découverte

Le 20 août 2024, M. Peyroux et V. Fillon, en camping au Mas d’Azil, goûtaient de la fraîcheur de promenades en bord d’Arize. Le regard expert de M. Peyroux se porta sur un bloc rocheux, pris dans le sédiment du lit de la rivière.

Elle en informa le jour même Y. Le Guillou avec qui elle avait, à plusieurs occasions, collaboré en archéologie préhistorique.

Soucieux de confirmer l’intérêt de la découverte avant de procéder à son officialisation, Y. Le Guillou, accompagné de M. Escolà, se rendit sur site le 22 août où ils furent accueillis par M. Peyroux.

La déclaration réglementaire de découverte était adressée par Y. Le Guillou au conservateur régional de l’archéologie le 23 août 2024.

Petite enquête autour du bloc orné

Cette pré-étude rapide est présentée par Yanik Le Guillou, Magali Peyroux, Marina Escolà, et Vincent Fillon

Localisation du bloc

Le bloc se trouve dans le cours de l’Arize, dans le lit mineur de la rivière et en limite de zone végétalisée. Il est situé en rive gauche de l’Arize, environ 200 m en aval de la Grotte du Mas d’Azil.

Environnement du bloc

Dans le cours d’eau, ce petit bloc est en situation erratique, tout comme ses semblables autour de lui. Il s’intègre dans une petite terrasse récente constituée de blocs calcaires d’effondrement plus ou moins liés entre eux par des sédiments. Ces derniers, très organiques, amalgament des éléments provenant par gravité des pieds de falaise et terrasses surplombantes, avec des limons et sédiments terreux de crue. Ces matériaux, mal imbriqués les uns dans les autres, reposent sur un lit de galets localement apparents.

L’observation des autres blocs calcaires présents  sur une centaine de mètres carrés aux alentours n’a révélé aucune trace anthropique.

L’étroite berge ou terrasse où se trouve le bloc, entre le cours d’eau à l’étiage et le pied de falaise. Tout cet espace est fréquemment inondé par l’eau courante de la rivière.

Description du bloc

Son poids est estimé entre 5 kg et 10 kg.

C’est un bloc de calcaire issu de la roche encaissante locale.

Il a la forme d’un polyèdre triangle isocèle de 40 cm de long, 16 cm de base, et un maximum de 18 cm de hauteur (dans sa position actuelle).

Seules 2 des 5 faces sont visibles. La face ornée est tournée vers le haut. L’autre face accessible ne paraît pas incisée.

Ce bloc est soit un fragment de paroi ornée, puis démantelée, soit un bloc déjà anciennement fragmenté lorsqu’il a été orné.
N’étant ni prélevé, ni nettoyé, nous n’avons pas su identifier d’éventuel plan de fracture pouvant orienter vers la première hypothèse. Toutefois, l‘observation étroite des incisions, à leur jonction avec la fracture du bloc invite à considérer que :

    – Les incisions sont antérieures à la cassure.

    – Cette cassure serait ancienne dans l’histoire du bloc car l’arête de la fracture est émoussée.

Il est donc probable que nous soyons en présence d’un fragment de paroi ornée.

Cadre et critères d'ancienneté de l'arrivée du bloc

Un apport par l’homme ?

Bien évidemment, les hypothèses extrêmes, bien qu’improbables, ne peuvent être totalement écartées.

 – Les Magdaléniens ont pu prélever un bloc dans la grotte ornée pour venir le déposer en bord de rivière, 200 m en aval de la grotte. On n’a aucun exemple de ce type de geste.

 – Ce bloc a pu être prélevé ailleurs, pour être inclus dans un aménagement historique des berges, aujourd’hui démantelé. Rien n’indique la présence d’anciens aménagements.

 – Un déplacement moderne (malveillance !) ? Qui sait … mais le bloc est naturellement scellé dans le sédiment de la berge.

Un transport par l’eau courante depuis la grotte du Mas d’Azil ?

Cette hypothèse est à étudier. Nous n’avons pas compétence pour savoir si un bloc de cette masse et de ces dimensions peut être transporté sur environ 300 m dans le cours d’eau de l’Arize. Ni si un tel transport, qui n’a pu se faire que par étapes et avec de nombreuses secousses, est susceptible d’avoir laissé des marques sur le bloc, et si oui quels types de stigmates.

Cette hypothèse offre deux possibilités quant au cadre de ce transport :

 – Soit le bloc est issu d’un démantèlement naturel post-paléolithique de parois ornées de la grotte.

 – Soit le bloc provient des travaux de terrassement de la route dans le centre de la grotte, à la fin du 19ème siècle.

Une étude du contenu du lit actuel de la rivière, associée aux données scientifiques produites par les travaux de H. Camus, C. Pallier, et M. Rabanit, pourrait offrir de tangibles éléments de réponse à ces hypothèses.

Un apport gravitaire naturel ?

Le bloc proviendrait alors d’une paroi ornée située en amont altimétrique de sa localisation actuelle.

Une provenance depuis le proche pied de falaise paraît peu probable, tant la roche y est démantelée, gélifractée. Toutefois, son observation soignée a révélé, 35 m en aval du bloc, quelques zones restreintes où la roche avait conservé des incisions peut-être anthropiques et de fins dépôts superficiels apparemment carbonatés.

Une origine du bloc serait peut-être à rechercher vers le pied de falaise situé juste au-dessus.

L’Arize, qu’on entrevoit sur la photo, coule de gauche à droite. Le pan de falaise inférieur est caché par la végétation. Nous ignorons tout du pied de falaise intermédiaire, difficile d’accès. L’étoile bleue localise le bloc orné. Le pointillé rouge délimite la zone d’où pourrait venir le bloc par simple apport gravitaire.

Aucune option n’est vraiment satisfaisante. Quelle que soit l’option dominante, il est certain que ce bloc orné a été de multiples fois remanié au cours des 15 derniers millénaires … ou simplement au cours des 150 dernières années. Sa mise au jour naturelle, dans sa situation actuelle, est probablement très récente, datant peut-être de l’année en cours.

Critères d'anthropisation

L’origine anthropique des incisions est tout à fait fiable. Les traits sont structurés. Ils ne correspondent à aucune empreinte éventuelle de fossile, ni par la forme des incisions, ni par la forme et la taille de la « corne ». Ils ne correspondent absolument pas à des griffures animales.

Critères d'ancienneté de l'œuvre incisée

 

Limite haute.

Les données des travaux dirigés par H. Camus, C. Pallier et M. Jarry, établissent, dans l’environnement de la grotte du Mas d’Azil, l’existence d’événements sédimentaires violents légèrement postérieurs ou contemporains du Gravettien. Elles invitent à considérer que le cadre conservatoire ne permet pas une datation antérieure au Magdalénien ; à la rigueur au Solutréen.

 

Limite basse.

Les patines des incisions et les micro-éclats de roche, qui affectent leurs bordures, permettent d’écarter toute datation récente (les derniers siècles).

 

À l’intérieur de cette fourchette, et à l’instar de beaucoup d’œuvres paléolithiques, seules les comparaisons de thème et de style permettent de proposer une attribution chronologique. En l’occurrence, le motif tracé invite à écarter une attribution post-paléolithique. L’environnement archéologique oriente vers le Magdalénien moyen ou supérieur.

Les incisions

Les incisions ont jusqu’à 2 mm de profondeur. Elles sont larges, en V, bien évasées.

Elles paraissent présenter des à-coups qui pourraient révéler une réalisation par percussion. S’il s’agit de grattages, ils sont puissants et profonds, leur dimension indique des passages successifs.

Les incisions à la base de la « corne ». Lors du nettoyage, l’étude pourra indiquer si les films blancs, affectés d’une érosion de surface, sont des résidus de dépôts carbonatés. Ils ont ensuite colmaté des incisions, puis ont été érodés. Peut-être leur composition indiquera-t-elle s’ils se sont formés sur une falaise extérieure ou dans l’obscurité d’une grotte.

Esquisse de lecture interprétative des incisions

Recherche d’une interprétation figurative réaliste.

Ce pourrait être le dessin de la queue d’un cheval, représentée en « fouet ». Ce type de queue d’équidé réfère plutôt au Gravettien qu’au Magdalénien qui, dans le cas présent, est le cadre chronologique à privilégier.

L’option la plus probable est qu’il s’agit d’une corne de bouquetin de type pyrénéen ou de grand boviné (aurochs ou bison).

Noter toutefois qu’une étude du bloc révèlera certainement d’autres incisions, telle une ligne qui pourrait indiquer une seconde corne parallèle à la première.

Ni le plus beau bouquetin de l’art pariétal de la grotte du Mas d’Azil, ni les plus emblématiques bouquetins de l’art mobilier de la grotte ne présentent cette sinusoïde des cornes qui pourrait en faire des bouquetins pyrénéens (capra ibex pyrenaica).

La conservation

Sur le lieu de sa découverte, le bloc orné était fortement menacé.

Menacé par l’homme : piétinement involontaire, voire malveillance.

Menacé par les éléments naturels.

Le bloc était en zone de battement de crues fréquentes, plusieurs fois par an. Il était régulièrement immergé dans un endroit directement impacté par l’eau courante.

La surface dénudée (et ornée) aurait subi l’impact des matériaux transportés par l’eau. Outre les grains de sable très érosifs, des branchages sont régulièrement rejetés sur ces berges. Un tronc était échoué à environ 3 m du bloc orné.

Le conservateur régional de l’archéologie à la DRAC Occitanie, informé de la découverte et des menaces qui pesaient sur ce bloc orné, a promptement et positivement réagi.

Sans délais, malgré les congés d’août et le week-end, ses services ont procédé à l’extraction du bloc orné et à sa mise en sécurité dans un dépôt habilité.

Perspectives

 

Désormais extrait, le bloc orné pourra faire l’objet d’une étude, et de l’observation de toutes ses faces. Cela permettra l’analyse de ses arêtes, de ses plans de fracturation, ainsi que des incisions. L’opération de nettoyage devra être concomitante d’une observation soignée des surfaces. Même s’il paraît totalement improbable que des pigments aient pu se conserver, les teintes rouges sur la face ornée méritent, avant nettoyage, un examen conclusif.

 

 

Le bloc juste après son extraction.

Préhistoire du Sud-Ouest

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