Grotte ornée de Font-de-Gaume (24)

Nouvelles recherches

Cette conférence donnée par Elena et Patrick PAILLET a eu lieu le 26 octobre 2024 au Musée du Pech Merle à Cabrerets (46).

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Comment ne pas se laisser guider, par cette conférence à deux voix, dans les galeries interdites au public de la grotte de Font-de-Gaume. C’est ainsi qu’Elena et Patrick Paillet nous ont conduits, avec beaucoup de pédagogie et de clarté dans leur exposé, dans les couloirs et les passages étroits, nous présentant à tour de rôle les travaux d’une équipe interdisciplinaire constituée dès 2020 sous la direction de P. Paillet.

Le programme d’étude de Font-de-Gaume : un challenge de haut-vol

Un challenge chronométré par le Centre des Monuments Nationaux pour permettre l’exploitation touristique de la cavité. Une étude restreinte aux parties non ouvertes à la visite, uniquement pendant 3h et ce sur un nombre de jours restreint. Choc de la recherche et de la culture touristique, mais cohabitation néanmoins nécessaire … Et pourtant, la moisson d’E. et P. Paillet a fait fi de cette contrainte, néanmoins … contraignante.

Un challenge monographique historique : être à la hauteur d’H. Breuil qui, il y a un peu plus d’un siècle, établissait avec Font-de-Gaume le principe fondateur de la grande monographie multi-thématique d’une grotte ornée. Le 1er temps, celui du recensement des unités graphiques est un succès. Méthodes et systématique de l’approche des parois ont permis d’aller bien au-delà des découvertes d’H. Breuil,ainsi que des compléments d’A. Roussot et de N. Aujoulat.

E. Paillet écoute P. Paillet. Et ce fut tout autant l’inverse.

Font-de-Gaume avant la découverte des peintures

La grotte est connue bien avant la découverte des œuvres pariétales. Elle est mentionnée en 1867 dans un guide Joanne par C. Port, puis dans un dictionnaire topographique d’A. de Gourgue en 1873, sous le nom de « grotte de Font de gomme ».  En 1887, sous le nom de « Grotte des Eyzies », elle apparait sur une gravure dans l’ouvrage de H. R. du Cleuziou « La création de l’homme et les premiers âges de l’humanité », entrainant ainsi une confusion avec la grotte Richard, appelée aussi grotte des Eyzies. L’importante monographie de L. Capitan, H. Breuil et D. Peyrony, « La caverne de Font-de-Gaume », parue en 1910, marquera un tournant dans l’étude de l’art pariétal.

Dans l’entrée de la grotte de Font-de-Gaume, en 1887. Cette gravure est étonnante.

On y voit deux « savants », premiers explorateurs de la grotte, un carnet de notes à la main et les regards déjà tournés vers les parois qu’ils examinent.

Étonnante car : oui : ce sont des « savants ». La prise sur le vif de la démarche scientifique est exceptionnelle. On les voit presque parler. On imagine aisément les questions. Nous utilisons encore le carnet, et il ne manque que l’appareil photo (et une présence féminine) pour que nous nous y reconnaissions. Ils regardent, discutent entre eux, prennent note de leurs observations.

Étonnante aussi par la question qu’elle pose. Mais qu’étudient-ils ? Ce ne sont pas les peintures pariétales. Mais ce n’est pas la galerie ornée. Les peintures d’Altamira avaient été découvertes bien des années plus tôt, mais, sous la coupe d’E. Cartailhac, la communauté préhistorienne française les boudait. Alors peut-être des géologues, ou des entomologistes ?

L’étude exhaustive d’une cavité ornée ; un challenge scientifique sur plusieurs axes thématiques

Celui de l’étude la grotte en tant qu’objet naturel

Aspects géomorphologiques et karstologiques, datations sur spéléothèmes.  La reprise de la topographie permet de situer toutes les entités graphiques, les artéfacts, les traces d’interventions humaines, mais aussi chaque bloc naturel ou accident de paroi.

Celui de l’étude de la grotte en tant qu’objet archéologique

Analyse des sols. Recherche des traces de fréquentations et d’activités humaines ou animales. Recherche de repères chronologiques fins pour définir l’ancienneté ou non des bris de concrétions – la découverte des structures de la grotte de Pouxets à Bruniquel a quelque peu amplifié l’intérêt des préhistoriens pour les bris de concrétions.

Quel désordre ! Des concrétions brisées pour quelques souvenirs souterrains ou pour aménager l’espace ; tout est question de culture et d’époque.

Celui de l’étude de la grotte en tant qu’objet artistique

À la suite des inventaires précédents, ce sont plusieurs centaines de figures inédites qui ont été révélées par l’étude exhaustive des parois. La présence de matière organique identifiée lors de l’analyse des pigments devrait permettre de dater ces ensembles picturaux. Ils n’ont pour l’instant qu’une datation stylistique au Magdalénien moyen, établie par un marqueur culturel : le tectiforme, qu’on trouve aussi aux Combarelles, à Bernifal et à Rouffignac. Toutefois, le dispositif pariétal de Font-de-Gaume n’est pas homogène et plusieurs séries chronologiques basées sur les études techniques et stylistiques se font jour.

Le rhinocéros laineux : le défi du relevé de P. Paillet face à l’œuvre d’art

Celui de l’étude de la grotte en tant qu’objet historique

Camper l’histoire de la cavité avant la reconnaissance de l’art pariétal mais aussi au moment de son authentification et durant les périodes suivantes. Étudier les vestiges des aménagements troglodytiques des porches et les graffitis qui ont blessé les parois au 19e et au 20e siècles. Sonder les effets des aménagements touristiques. Et pour cela il fallait explorer toutes les archives et les sources documentaires.

D. Peyrony en chef d’orchestre devant l’entrée de Font-de-Gaume

La grotte de Font-de-Gaume

Creusée dans le calcaire coniacien à partir d’une diaclase, la grotte se compose d’une galerie axiale de 120 m de long, et de quelques plus courtes galeries périphériques.

La galerie principale, ouverte au public, est abondamment ornée de véritables chef d’œuvres densément colorés au Magdalénien et dont le pâle reflet d’aujourd’hui permet d’imaginer le merveilleux d’autrefois.

Il n’y a pas que des défilés de bisons dans cette galerie ; cherchez le mammouth.

C’est avec E. et P. Paillet que nous découvrons les trois galeries périphériques dans lesquelles ils ont l’autorisation de travailler, ainsi que le diverticule terminal qui prolonge la galerie principale. De nouvelles entités graphiques y ont été découvertes. Font-de-Gaume est une grotte qui a été entièrement investie par les paléolithiques ; toutes les galeries sont ornées.

La galerie Prat

La galerie Prat du nom de celui qui, en 1950/60, a mis en évidence quelques indices du passage des ours et des hommes : des marques de découpe sur des os d’animaux et quelques silex. De nouvelles entités graphiques ont été repérées par P. Paillet, dont un cheval au trait rouge modelé naturellement par le relief naturel stalagmitique. La présence des hommes est prégnante : tâches de couleurs, pendant rocheux décoré, martelage de la calcite sous le ventre d’un bouquetin, bison au trait rouge. Des figures sont parfois inachevées, des pattes finissent en pointe : certaines figures seraient-elles ante-magdaléniennes ?

Stries d’incisions sur une côte d’ours

La galerie latérale

La galerie latérale a inspiré les visiteurs des siècles passés. Ils nous ont laissé les traces graphitées de leur passage. Tous les secteurs de cette galerie fortement concrétionnée ont été ornés durant le Paléolithique. Indices du passage des hommes, des concrétions sont brisées ; mais quand ? Au 19e ou au 20e siècle où c’est pratique courante ? Au Paléolithique où cette pratique est attestée dans certaines cavités ? Des figures finement gravées se cachent dans les draperies de calcite. Des touches de couleurs répondent à des parois volontairement maculées d’ocre. On y trouve des vulves (sic !).

Relevé d’une des « vulves »

La particularité de cette galerie est de s’y sentir observé par des regards provenant de la roche, surgissant des rideaux de concrétions. Inscrits sur les parois ou les spéléothèmes, ce sont des petits points ou cercles noirs figurant des yeux, avec parfois un museau ou une bouche. Têtes ? Visages ? Humains ? Animaux ? On les affuble du terme de « masque ».

Des dizaines de regards, venant du fond des âges, s’imposent au visiteur. Le chercheur en accentue l’intensité à l’aide de traitements infographiques.

Impossible de ne pas penser aux petits visages de la grotte de Foissac, où une quarantaine de regards se focalisent sur le visiteur, et probablement aussi sur leur auteur magdalénien.

Comment gérer l’usage des termes, le sens des mots ?

On note parfois la capacité de notre communauté scientifique à se plier aux vents dominants, comme par exemple récemment pour modifier le Paléolithique supérieur en Paléolithique récent, ou un peu plus anciennement pour bannir de sa réflexion le terme de race.

Qu’attend cette communauté pour revoir les termes utilisés dans des classifications encyclopédistes figées depuis presque un siècle ?

Non : une tête n’est pas un masque ; deux yeux ne sont pas un masque. L’amalgame est plus qu’inadéquat.

Non : un triangle pubien n’est pas une vulve, tant sur le plan anatomique, que psychologique ou sexuel. L’amalgame est presque pernicieux.

Peut-on étudier des sociétés anciennes, peut-on chercher à comprendre l’homme paléolithique et sa perception du monde, peut-on transcrire ses vérités dans notre langage, en laissant perdurer des amalgames dans des domaines aussi significatifs, dans des domaines aussi sensibles ?

Le cabinet des bisons

Le cabinet des bisons, comme son nom l’indique, est le royaume de ces bovinés. L’originalité du graphisme tient aux milliers de traits gravés qui recouvrent ces bisons et les parois de ce réduit. Peut-on identifier d’autres figures ou signes dans ces lacis de traits ? Quel motif a régi une telle profusion de gravures ? Les tracés ont-ils précédé ou succédé aux figurations animalières peintes ? On s’interroge et on se rappelle ainsi les milliers de traits gravés qui couvrent les parois de la galerie principale de la grotte de Marcenac à Cabrerets. Ils attendent toujours le chercheur qui voudra bien s’y intéresser.

Quelques bisons noirs.

Des gravures recouvrent les peintures, dans un foisonnement invraisemblable, qui laisse cependant reconnaitre l’image principale.

Le diverticule terminal

Dans le diverticule terminal la diaclase se resserre. On y retrouve des figures inédites et d’autres connues depuis le début du 20e siècle : l’aurochs noir, le rhinocéros rouge. On se souvient de la reproduction des relevés de H. Breuil qui ornent à présent le parcours touristique qui mène à l’entrée de la grotte.

Des vermiculations semblent altérer le pigment noir de l’aurochs. D’où viennent ces dégradations ? D’une modification de l’aérologie ou de l’humidité ambiante ? Comment ne pas penser aux peintures du Salon Noir de la grotte de Niaux qui ont souffert d’une altération semblable ?

Sur ce bison de la grotte de Niaux (09), des vermiculations noires et humides mobilisent les pigments paléolithiques en lien avec de légers ruissellements d’eau. Si la mécanique de ce phénomène datant de 1978-1979 est bien expliquée, ses causes restent inconnues.

Sur ce bison vertical de la grotte de Bédeilhac (09), des vermiculations sèches, brunes, argileuses, sont certainement le fruit d’anciennes phases successives d’assèchement et d’humidification de la surface de la roche.

Comment relier l’Homme à l’art à travers ces temps immémoriaux ?

Les nombreux relevés détaillés et précis de P. Paillet montrent la difficulté de l’identification des figures imbriquées. Comme il le soulignait lui-même, H. Breuil cherchait dans ses relevés à redonner leur lustre aux figures pariétales. C’est un autre artiste, Olivier-Marc Nadel, associé à l’équipe de P. Paillet, qui essaie de restituer les gestes des artistes paléolithiques à partir des données scientifiques. Des images agréables qui font sortir de l’anonymat les artistes de Font-de-Gaume.

Et demain ?

La datation

Depuis plus d’un siècle, on a cru à l’absence d’utilisation de charbon de bois à Font-de-Gaume.

Grâce à la fluorescence X et à la spectrométrie Raman des traces de carbone ont été identifiées dans plusieurs galeries. Elles pourraient appartenir à une phase de dessin antérieure aux œuvres emblématiques de la grotte, voire peut-être, s’interroge P. Paillet, à une phase antérieure au Magdalénien.

Résultat d’analyse non destructrice identifiant la présence de carbone dans un tracé. Aujourd’hui encore, la datation par le C14 impose un prélèvement destructeur. Y aura-t-il suffisamment de carbone ? Sera-t-il bien conservé ? Non pollué ? Nous le saurons bientôt.

La datation par le C14 n’est pas une panacée.

Aujourd’hui, dans le cadre d’études d’art pariétal, le C14 apporte des confirmations d’ordre général. Mais les divers facteurs de son imprécision le rendent peu utile pour l’analyse des décorations et les chronologies fines. De plus, le doubler est rarement possible, alors que ce devrait être le cas dès qu’un résultat est inattendu.

Par le biais des comparaisons et des chronologies relatives, les thèmes, les styles et les constructions graphiques restent les outils de datation les plus souples et les plus adaptés. À coup sûr à l’intérieur d’un unique site, mais aussi pour les comparaisons inter sites. Même si ces outils froissent ceux qui ne croient qu’en la vérité des chiffres portés par les sciences dites dures.

Une monographie de grande ampleur ?

À entendre P. Paillet, l’étude de ces galeries a permis d’identifier des complexes iconographiques programmés, bien différenciés les uns des autres, et associés à différents espaces de la grotte, lesquels ont tous été investis.

Alors : bien évidemment, les mêmes études doivent être menées dans la galerie principale, par la même équipe.

Malgré déjà 5 années de dense travail, l’aventure de P. et E. Paillet à Font-de-Gaume n’en est qu’à son début !

Dans quelques années, après plus d’un siècle, une nouvelle monographie multi-thématique, certainement monumentale, doit voir le jour. Jusqu’à une suivante, dans un siècle ou plus, qui sera réalisée avec de nouveaux outils techniques, et de nouveaux angles de regard.

2025

L’espoir d’une autorisation d’étude de la galerie principale … peut-être … il suffit d’un peu d’intelligence, de souplesse, et de bonnes volontés.

Et combien de nouvelles surprises paléolithiques ?

Rédaction Y. Le Guillou, M. Escolà, P. Guillet.

Préhistoire du Sud-Ouest

Musée du Pech Merle

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