Naître, se reproduire et mourir au Paléolithique : une approche démographique

Cette conférence donnée par Jean-Jacques HUBLIN a eu lieu le 20 août 2024 à Vayrac (46).

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Erreur d’annonce ?

Une incohérence entre l’annonce de la conférence et la conférence elle-même a fait que beaucoup dans la salle s’attendaient à une présentation sur les densités de peuplement et sur les théories utilisées par la génétique pour proposer ces évaluations.

Déçus ? … En fait non. Pas du tout. … Et de plus : Salle pleine !

J.-J. Hublin a condensé 3 cours successifs, qu’il avait donnés au Collège de France, en 1 heure de présentation bien structurée.

Un fragment de théorie de l’évolution, du moins de l’évolution humaine

Il y a 60 ans, A. Leroi-Gourhan proposait un schéma évolutif vers « l’humanité » qui associait libération de la main et bipédie.

Il y a 60 ans, A. Leroi-Gourhan relevait l’intérêt qu’il y aurait à engager une voie de recherche dans une sorte de « paléontologie de la grossesse ».

Aujourd’hui, ce dont nous a parlé J.-J.Hublin avance dans cette direction. Il pose une finalité, cause dominante : l’évolution de la masse du cerveau, et son corollaire : comment trouver l’énergie nécessaire au fonctionnement du cerveau.

Une différence principale est que le premier considère l’évolution de la masse du cerveau comme une conséquence, presque un hasard, alors que le second semble la considérer comme une cause.

Tous deux paraissent très insérés dans une règle désormais séculaire et très (trop ?) rigide : les moins adaptés disparaissent.

De façon tout à fait classique, le modus operandi du raisonnement de J.-J. Hublin ne remet jamais en cause la base en pyramide inversée qu’est son édifice.

Mais il le remodèle et l’enrichit par l’ajout de de pierres extérieures : évolution des volumes cérébraux, durée de l’allaitement, mesures du bassin, durée de la grossesse, modalités d’expulsion du bébé, … ; et surtout, au-delà du domaine physiologique, il rajoute les pratiques sociales liées à la gestion de la grossesse et de l’enfance. J.-J. Hublin nous invite dans un monde où nature physiologique et culture interagissent.

Ces données complémentaires qu’il intègre ne le sont pas à titre de justification, mais en tant qu’outil de réorientation de son analyse. On est là loin de A. Leroi-Gourhan qui a parfois donné l’impression de remodeler les pierres extérieures pour qu’elles s’intègrent à son édifice, et plus loin encore des brillants raisonnements en circuit fermé (P. Descola, …) qui consistent à ajuster des pierres intérieures.

Quoiqu’il en soit, J.-J. Hublin nous a presque proposé une théorie de l’évolution, … passionnante. Nous avons quitté la conférence satisfaits, … et presque rassurés.

Éléments du socle sur lequel repose le schéma théorique avancé par J.-J. Hublin

 –   Même si ce n’est pas sciemment « recherché », sa construction semble reposer sur l’existence d’un moteur intentionnel sous-jacent, progressiste en l’occurrence. Un point positif est que cette intentionnalité qui sous-tend le discours de J.-J. Hublin, a une composante morale très positiviste : la nature (sic) recherche (sic) le meilleur des mondes. C’est rassurant.

 –   La place qu’il réserve à la culture, dans cette dynamique évolutive « venue d’ailleurs », n’est pas très claire. On serait dans un monde physiologique et social où, du moins jusqu’à nos jours, l’évolution est subie par l’Homme, et pas recherchée. L’absence de la place de la culture dans l’évolution en déshumanise le processus. J.-J. Hublin a clairement présenté le transfert de la place de la mère vers des tiers comme une nécessité de survie de l’espèce. Soit. Il était moins convaincant quand il a catalogué, et surtout hiérarchisé les modes d’intervention de la société pour pallier les imperfections de l’évolution en matière de grossesse, d’accouchement, et de durée de l’enfance. Quand la nature (la physiologie en l’occurrence) n’assure pas, la culture (la société) prendrait automatiquement et efficacement le relais, toujours dans la même direction. C’est rassurant.

 –   On peut aussi noter l’absence de référence, même non-dite, concernant « l’aléatoire », le « chaos » diraient peut-être d’autres. Ce ne serait pas du tout rassurant.

Les interrogations du public

Quelques questions ont concerné le sujet direct de la conférence.

Il n’y a pas eu de remise en cause de l’exposé qui était soigneusement construit. Mais la masse d’informations transmises était telle que sa remise en cause ne pouvait être d’actualité. Il faut d’abord digérer. Et le niveau et la diversité des savoirs scientifiques, expressément présents dans le discours de J.-J. Hublin, sont tels que cette remise en cause a du mal à s’exprimer. Elle n’est pas possible, dans un un temps aussi restreint, même pour un public d’amateurs passionnés et exigeants.

Mais il est significatif de constater que plus de la moitié des questions qui ont suivi l’exposé n’ont pas concerné son contenu. Elles ont concerné la prolongation du schéma proposé par J.-J. Hublin vers l’avenir de l’Homme et de la planète parfois un peu amalgamés dans les questions : évolution future du cerveau, impacts démographiques planétaires, réchauffement climatique, …

Cela montre que l’archéologie préhistorique peut être un outil de construction du regard sur le présent, voire de prospective.

Qu’en sera-t-il demain ? Quand un préhistorien tente de répondre.

Les réponses de J.-J. Hublin étaient nettement moins posées, rigoureuses, passionnantes, que celles concernant ses domaines de recherche. Nul ne se doit de tout savoir.

Certaines réponses, comme celle concernant les perspectives démographiques, paraissaient brodées autour d’un : vous avez raison de vous interroger, mais ne vous inquiétez pas, tout ira bien, on gère.

Dans ce domaine de la médiation grand public à vocation scientifique visionnaire, Yves Coppens, préhistorien engagé, nous quittait il y a peu. J.-J. Hublin commence à avoir l’aura et a la stature pour prendre la suite. C’est très bien pour tous.

Bien longtemps après la conférence, et après le temps des questions publiques, J.-J. Hublin n’a pas ménagé son temps pour tenter de répondre aux questions et observations de passionnés.

Remodeler le sens des mots pour aider des idées à rentrer dans des cases ?

Extinction des néandertaliens … alors qu’ils sont parmi les ancêtres de beaucoup d’entre nous.

Nouveau concept « d’espèce » qui ne serait plus associée à la possibilité d’avoir une progéniture viable.

Sans compter le bannissement du terme « race » … à d’autres ce sujet sulfureux.

Et nous tous empêtrés dans le genrage des termes.

Ainsi que les jeux de noms (et de sens) entre « Homme de Cro-Magnon », « Homo sapiens », « Homo sapiens sapiens »,  et maintenant « Homme anatomiquement moderne ».

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Mais quelle est la rationalité de ces changements ? Comment fonctionnent ces collectifs informels qui impulsent ces modifications ? Pourquoi sont-ils soumis aux dictats de « l’air du temps » ? Aucun complotisme derrière ces questions.

Rédaction Y. Le Guillou.

Préhistoire du Sud-Ouest

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