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Cranial surgery in Antiquity : The size of Trepanations During the Neolithic Period in France

Chirurgie crânienne dans l’antiquité : la taille des trépanations au Néolithique en France

Un nouvel article sur les trépanations préhistoriques, un sujet qui piétine toujours et cherche ses marques entre le champ purement technique et la paléopathologie. Un sujet qui questionne depuis la fin du 19ème siècle quand, en 1874, deux médecins, P.-B. Prunières et P. Broca, posent l’hypothèse d’une chirurgie crânienne néolithique couronnée de succès. Mais la cause de l’acte chirurgical, traumatisme, pathologie, acte rituel, reste souvent (mais pas toujours…) au stade de l’interrogation qui passionne.

Ici le titre annonce l’orientation de la recherche. Le corpus crânien provient des collections exceptionnelles du laboratoire d’anthropologie du Musée de l’Homme à Paris, constituées pour l’essentiel au 19e siècle. Dans cette collection, 45% des restes crâniens utilisés pour l’étude sont issus du Néolithique français, l’autre moitié concerne les périodes historiques des cinq continents, et un cas l’Épipaléolithique d’Afrique du Nord. Ce sont ces sujets néolithiques qui ont été choisis pour tester le protocole mis en place.

L’approche du sujet

La première partie de l’étude est consacrée à l’approche des écueils pathologiques qui perturbent le diagnostic de trépanation. Ensuite un survol historique traite des volets de trépanation, des « rondelles » qui ont fait et font débat, et de quatre classiques techniques d’intervention. Un petit oubli : la technique dite de « Lucas-Championnière » consistant à réaliser de petites perforations qui démarquent la forme du volet et ensuite reliées par une découpe de l’os. Cette technique a été employée au moins partiellement sur l’une des trépanations de l’échantillon présenté, celle de Montigny L’Engrain dans l’Aisne, mais aussi à Charlemont dans les Ardennes, plus tardivement à l’Âge du Bronze à Montesquieu-Avantès en Ariège, et en Amérique précolombienne.

On en vient ensuite aux sujets de l’étude : 159 individus datés entre 6 000 et 2 200 avant notre ère, répertoriés par catégories géographiques. On est surpris de la mention d’une détermination du sexe réalisée sur le crâne, probablement à l’époque de leur découverte. En effet, la plupart de ces sujets trépanés proviennent de sépultures collectives ou de razzias anthropo-coloniales. En anthropométrie, seule la diagnose sexuelle sur l’os coxal est fiable. L’assertion que la plupart des trépanés sont masculins tombe de ce fait. Sont indiqués : la localisation crânienne de la trépanation, la technique employée, et le taux de survie post-opératoire corrélé à la technique utilisée.

On arrive enfin au cœur du sujet appelé par le titre : les dimensions des ouvertures crâniennes durant le Néolithique en France. 41 restes crâniens ont été retenus. Les difficultés inhérentes aux phénomènes de cicatrisation ou aux modifications pathologiques de l’os sont abordées. Il est précisé que les mesures comparées des 10 perforations néolithiques choisies pour leur bonne conservation sont prises sur la berge externe du biseau. L’intérêt de l’étude tient à l’hypothèse d’une corrélation entre les deux diamètres des ouvertures ovalaires. On pourrait ainsi évaluer la surface crânienne impactée par l’opération, même quand les aléas de la taphonomie ont amputé l’ouverture initiale. Les auteurs concluent ainsi à la forte corrélation entre les deux diamètres. Ils établissent une formule mathématique permettant d’obtenir la dimension manquante à partir du diamètre minimum connu. Ce modèle est proposé à partir d’une courbe de régression appliquée aux formes ovalaires ou circulaires des perforations étudiées.

Le crâne de Feigneux (Oise), identifié comme masculin (!)

Quelques précisions au sujet de la cicatrisation des « rondelles crâniennes »

Le terme « rondelle » a été donné par le docteur Prunières à un volet de trépanation ovalaire (fig. 2A) présenté en 1873 au congrès AFAS de Lyon. D’où le nom de « rondelle de Lyon ». Elle provient d’un dolmen de Cibournios (Buzeins, Aveyron) et pas du dolmen d’Aiguières comme le disent les auteurs. Par extension du terme, le docteur Prunières a donné ce nom à tout fragment crânien, quel que soit sa forme, pourvu que l’un des bords soit cicatrisé et soit donc issu d’un crâne dont la trépanation montre les stigmates d’une survie post-opératoire.

La « rondelle » de la fig. 2B, dont on ne connait pas la provenance exacte, qui a bien le bord falciforme cicatrisé décrit par P. Broca en 1877, présente un impact qui a entamé la table externe de l’os, le diploé mais pas la table interne. Perforation inachevée ? Prévue pour suspendre le fragment osseux ? Est-on dans le domaine des amulettes comme le suggérait P. Broca ? Difficile de répondre à ces dernières questions ; la légende des auteurs « rondel/amulet » montre que l’on est toujours empreint de ces anciennes interprétations. Une étude plus soignée permettrait d’écarter ou non l’hypothèse de l’impact instrumental accidentel, traumatique. Certains os de la collection Prunières présentent de réels impacts ; ils sont encore pourvus de la flèche en silex qui les a percutés mais pas forcément perforés de part en part.

Des informations sur l’historique et la provenance de ces deux pièces, sont, comme l’essentiel de la collection anthropologique du docteur Prunières, détaillés et consultables dans l’ouvrage de D. André et J.-Y. Boutin.

P. Broca, 1877.

Quelques précisions au sujet de la cicatrisation des trépanations crâniennes

La dépression circulaire frontale d’environ 5 cm de diamètre est présentée comme une possible trépanation cicatrisée (fig.1 ; B2). On est là dans un domaine de recherche initié ces dernières années. Une trépanation d’une telle surface peut-elle être comblée par une néoformation osseuse ?  C. Partiot et de son équipe (2020) concluent à la variabilité individuelle en matière de cicatrisation osseuse. Ils invitent à de réétudier, à la lumière d’un diagnostic différentiel bien étayé, les grandes ouvertures dites comblées par de l’os néoformé. Les données de la chirurgie actuelle montrent que si le volet osseux n’est pas remis en place il n’existe pas de comblement de la lacune pour des ouvertures aussi importantes.

Le sujet S722 avec sa trépanation frontale et le volet. Pourquoi le volet a-t-il été retrouvé avec le crâne ?

Pour conclure

On ne peut que louer la mise en valeur scientifique de collections muséales anciennes, et l’intérêt de leur prise en compte dans la recherche. De plus, peu de fouilles récentes ont pu mettre au jour de nouveaux trépanés associés à des squelettes complets. Le sujet S722 de la nécropole campaniforme de Mondelange-la-Sente en Moselle, dont le squelette post-crânien, le crâne trépané et le volet osseux issu de l’opération sont conservés, reste une exception.

Le calcul par le biais de la formule mathématique proposée semble intéressant, surtout pour les surfaces des très grandes trépanations dont une partie a disparu. Elle mérite d’être testée sur un échantillon crânien plus important.

On peut regretter que les informations bibliographiques soient trop limitées aux auteurs anglo-saxons ou à des articles généraux de vulgarisation. Elles pêchent par l’absence des données bibliographiques récentes, y compris sur des crânes du corpus néolithique choisi pour l’étude (Molincourt ; hypogée fouillée par J. de Baye).

Une publication de : Emanuela Gualdi-Russo, Pauline Lefebvre, Julie Arnaud

World Neurosurgery n° 190. Pages 131-140.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1878875024011823

à paraître en « version papier » en octobre 2024

Références bibliographiques

André D., Boutin J.-Y., 1995. Les Baumes-Chaudes et les trépanations crâniennes dans les Grands Causses, Association Docteur Prunières.

Broca P., 1877. Sur la trépanation du crâne et les amulettes crâniennes à l’époque néolithique, Paris, E. Leroux éd, 74 p.

Escolà M., 2020. Le crâne de Molincourt (Berthenoncourt, Eure) : origine, pathologie, trépanation, quel diagnostic ? Revue Archéologique de l’Ouest 36, 2019-2020, p. 89-98.

Escolà M., 2022. La chirurgie crânienne du Néolithique alsacien : état de la question, Bulletin de la Société préhistorique française, 119-2, p. 295-324.

Partiot C. & al., 2020. Cranial trepanation and healing process in modern patients. Bioarchaeological and anthropological implications, Journal of Anatomy, Anatomical Society, p. 1-13.

Rédaction M. Escolà.

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