P. Bayle, responsable d’opération à la grotte Sirogne, nous a présenté le site. Ce déplacement sur le terrain faisait suite à sa conférence du vendredi 19 juillet au Musée du Pech Merle : « Des néandertaliens à Rocamadour : la grotte Sirogne ».
Une marche d’un quart d’heure depuis un parking situé à quelques kilomètres de Rocamadour, donne accès à un promontoire rocheux, véritable belvédère surplombant en rive droite les gorges de l’Alzou. Le groupe de participants, scindé en deux pour la visite, a ensuite successivement entamé la descente facilitée par une main courante fortement végétalisée jusqu’à l’entrée de la grotte exposée au sud. Vu l’intérêt exceptionnel de cette cavité, l’absence du beau temps qui n’était pas au rendez-vous n’a pas émoussé le moral de la troupe.
Des participants à l’écoute de P. Bayle avant d’entreprendre la descente vers la grotte.
La grotte Sirogne, née Crozo del Dua, nom princeps signifiant « grotte du hibou », qu’elle retrouvera et qui sera utilisé ici, est une petite cavité d’une vingtaine de mètres de longueur, vestige d’un ancien couloir karstique recoupé par l’incision de la vallée de l’Alzou. Elle a fait l’objet de fouilles intermittentes d’A. Niederlender avant 1923. On ne connait aucun document de terrain faisant part de ses travaux, si ce n’est un croquis succinct de coupe sur un papier fortement mité, conservé au Musée du Pech Merle. Si A. Niederlender n’a, hélas, laissé que très peu d’écrits au sujet de ses fouilles à la Crozo del Dua, les quelques informations livrées dans un courrier à un ami du 13 avril 1923 montrent qu’il avait déjà globalement bien ressenti l’ancienneté de l’occupation :
Le courrier d’A. Niederlender :
«… La seconde (grotte) est située sur le haut de la falaise et son accès est assez difficile. Elle se nomme « Roque de Coucard » (autre nom de la Crozo del Dua) et se trouve sur la commune de Rocamadour entre les moulins de Tournefeuille et de Sirogne. Moins grande que celle de Grojels, son orientation est au sud. Très éclairée, bien abritée, elle ne fut pourtant habitée qu’à une seule époque bien ancienne. Les fouilles que je n’ai pu encore terminer, m’ont fourni des quartz et silex taillés. Les uns et les autres sont extrêmement grossiers et atypiques. Les silex sont tous très patinés et même profondément altérés. La faune comprenant le cheval, le bœuf, par la présence de l’Ursus speleus est celle du Paléolithique ancien. Les silex et quartz ont une allure très archaïque, mais leur manque de type ne permet pas de les ranger nettement dans une industrie des époques classiques et du Paléolithique ancien (Chelléen, Acheuléen, Moustérien). Avec les plus grandes réserves, le travail de fouille à exécuter étant d’ailleurs encore considérable serait peut-être la clef de cette énigme, je donnerai comme époque celle du vieux Moustérien, malgré l’absence de « coup de poing », cette station pouvant présenter un faciès régional particulier. »
De la main même d’A. Niederlender, ce résidu de croquis stratigraphique conserve bien peu d’informations.
Cinq dents permanentes isolées, appartenant à trois jeunes individus néandertaliens, avaient été découvertes à cette époque. Elles avaient été étudiées et publiées par É. Genet-Varcin en 1966. Les fouilles non documentées qui ont suivi celles d’A. Niederlender ont considérablement bouleversé les couches archéologiques. Les planchers stalagmitiques qui recouvraient une vaste partie de la cavité ont été fragilisés et les couches d’occupations qu’ils protégeaient ont été en partie détruites. La découverte fortuite d’un fragment de mandibule, au début du 21e siècle, puis son identification comme néandertalienne par S. Madelaine et B. Maureille, lors de son dépôt au Musée National de Préhistoire en 2011, a suscité un regain d’intérêt de préhistoriens pour ce site. Une équipe scientifique a été constituée. Une campagne prospective, destinée à évaluer le potentiel anthropologique et archéologique de la cavité, a été mise en place en 2013 et 2014, suivie de 2015 à 2018 par une fouille programmée sous la direction de P. Bayle.
L’isolement et l’accès peu aisé de la cavité ont nécessité la mise en place d’une logistique adaptée. Une grille de protection a été installée à l’entrée et la paroi au-dessus de la grotte a été purgée de ses blocs instables. La partie pentue du chemin d’accès a bénéficié de la pose d’une main courante pour faciliter la descente. L’éclairage a été obtenu à l’aide d’un groupe électrogène. Le traitement du sédiment de la fouille a fait l’objet d’un tamisage à l’eau réalisé à l’entrée d’une petite cavité située légèrement en aval de la grotte et actuellement abondamment colonisée par les blaireaux. L’eau, indispensable au tamisage, provient d’une tonne à eau installée à la surface du causse. Elle arrive au poste de tamisage après un parcours de plus de 200 mètres de tuyau. Seul le refus de tamis, de masse plus aisément transportable, est ainsi remonté à dos de fouilleur puis trié ensuite au laboratoire. L’ensemble du réseau a été topographié et un carroyage a été établi permettant de localiser l’ensemble du matériel archéologique y compris celui des déblais de fouilles non documentées. Des témoins stratigraphiques préservés ont été mis en évidence et les coupes associées ont été ravivées.
La grille qui protège aujourd’hui l’entrée de la grotte.
Première partie de la grotte : terriers, trous de fouilles, et farfouilles dans des déblais remaniés.
Les premiers locataires dont la cavité garde les traces sont les ours des cavernes comme le montre un magnifique poli en paroi provoqué par les passages répétés de ces plantigrades. Le pourcentage élevé de vestiges osseux et dentaires d’ours parmi la faune en est également la preuve. La cavité a été investie par des femelles et des oursons non sevrés comme le montre la présence de nombreuses dents déciduales. Cette fréquentation a été l’un des facteurs de perturbation du remplissage de la cavité. L’homme a été le deuxième élément perturbateur : les stries de boucherie et les marques de percussion sur des os d’ongulés en témoignent. La première incursion néandertalienne serait antérieure au dernier interglaciaire. La présence du renne et du tahr attestent d’une ambiance climatique très froide qui pourrait dater de l’extrême fin du stade isotopique 6. Par la suite le tahr, capridé actuellement présent sur les pentes himalayennes, est remplacé par le bouquetin dont le débitage des os atteste d’une fréquentation humaine postérieure, lors d’un léger réchauffement. Actuellement les restes humains inventoriés, essentiellement dentaires, sont ceux d’au moins 10 individus, enfants, adolescents et adultes néandertaliens. Des stries de découpe ont été relevées sur les ongulés (bovinés, caprinés, cheval, renne) et sur un oiseau : le vautour. Elles attestent de l’exploitation de ces animaux par l’homme. Un fragment d’omoplate et un métatarsien (os du pied) humains présentent aussi des stries semblables. Les os d’ours sont beaucoup moins brisés que ceux des grands herbivores, ce qui invite à confirmer une intervention humaine sur ces derniers. Le matériel lithique (quartzite, silex, calcaire) provient de différents technocomplexes du Moustérien et du Paléolithique supérieur. Des Badegouliens ont aussi investi la cavité, probablement l’entrée.
Un humérus d’ours qui paraît encore en place dans la grotte.
Des prélèvements pour datation par la méthode uranium-thorium ont été effectués sur des planchers stalagmitiques de secteurs différents de la cavité. Leur datation a permis de contraindre la chronologie du remplissage du complexe stratigraphique qui contient les témoins archéologiques, entre 193 000 ans (base de la séquence) et 16 900 ans (sommet de la séquence). L’occupation néandertalienne débuterait à l’extrême fin du stade isotopique 6 (ex Riss) juste avant une période tempérée contemporaine de l’interglaciaire de l’Éémien (stade isotopique 5), dans laquelle l’occupation semble se poursuivre.
Malgré un contexte fortement remanié, l’intérêt majeur de ce site réside dans la grande ancienneté de ses occupations néandertaliennes. Les restes humains néandertaliens découverts dans les sites environnants (Mas Viel, Les Fieux, La Chapelle-aux-Saints, Le Moustier, La Ferrassie, Le Régourdou, etc) sont ceux de Néandertaliens classiques ayant vécu à des périodes plus récentes. L’analyse morphométrique des dents suggère que les occupants de la Crozo del Dua appartiennent aux prédécesseurs de ces Néandertaliens classiques. Une tentative d’analyse ADN est en cours. Le large spectre faunique pléistocène a montré que la plupart des ongulés provenaient d’une activité de prédation humaine dont il reste à établir les modalités au sein des deux techno-complexes mis en évidence : l’un du Paléolithique moyen et l’autre de la fin du dernier maximum glaciaire. Les études topographiques ont permis d’estimer qu’une surface d’au moins 45 m2 pourrait encore recéler des dépôts archéologiques en place qui permettraient de mieux contextualiser les activités et occupations néandertaliennes.
Rédaction M. Escolà, Y. Le Guillou
L’association « Préhistoire du Sud-Ouest » est entièrement indépendante de la Mairie de Cabrerets. Nous remercions la commune, ses élus, et la direction du centre du Pech Merle de leur soutien sans faille.
Rédaction M. Escolà et Y. Le Guillou.